Le machine learning pour prévoir les émissions d'amines

Scientifiques ont mis au point une solution de machine learning pour prédire avec précision les émissions d’amines potentiellement nocives générées par les centrales de captage du carbone

10.01.2023 - Suisse

Le réchauffement climatique s’explique en partie par la grande quantité de dioxyde de carbone que nous rejetons, principalement lors de la production d’électricité et des processus industriels, comme la fabrication d’acier et de ciment. Depuis un certain temps déjà, les ingénieurs et ingénieures chimistes étudient le captage du carbone. Ce processus permet de séparer le dioxyde de carbone et de le stocker de manière à le maintenir hors de l’atmosphère.

Kevin Maik Jablonka (EPFL), CC BY-SA 4.0

Une centrale électrique conçue avec l’IA.

Cette opération est réalisée dans des centrales de captage du carbone, dont le processus chimique implique l’utilisation d’amines. Il s’agit de composés déjà utilisés pour capter le dioxyde de carbone dans les usines de traitement et de raffinage du gaz naturel. Les amines sont également utilisées dans certains produits pharmaceutiques, dans des résines époxy et dans des colorants.

Mais le problème est que les amines peuvent être potentiellement dangereuses pour l’environnement ainsi que pour la santé, d’où la nécessité de limiter leur impact. Pour cela, il faut surveiller et prévoir avec précision les émissions d’amines d’une centrale, ce qui s’avère difficile car les centrales de captage du carbone sont complexes et différentes les unes des autres.

Une équipe de scientifiques a mis au point une solution de machine learning pour prévoir les émissions d’amines des centrales de captage du carbone en utilisant les données expérimentales d’un test de résistance dans une véritable centrale basée en Allemagne. Les travaux ont été menés par les équipes du professeur Berend Smit de la Faculté des sciences de base de l’EPFL et de la professeure Susana Garcia du Research Centre for Carbon Solutions de l’Université Heriot-Watt en Écosse.

« Les expériences ont été réalisées à Niederhauẞem, dans l’une des plus grandes centrales électriques au charbon d’Allemagne », déclare Berend Smit. «Et depuis cette centrale électrique, un courant est envoyé vers une centrale pilote de captage du carbone, où la solution d’amines de nouvelle génération est testée depuis plus d’un an. Mais l’un des problèmes encore non résolus est que des amines peuvent être émises avec les gaz de combustion, et que ces émissions d’amines doivent être contrôlées. »

La professeure Susana Garcia, ainsi que le propriétaire de l’usine, RWE, et TNO aux Pays-Bas, ont mis au point un test de résistance pour étudier les émissions d’amines dans différentes conditions de traitement. La professeure Susana Garcia décrit le déroulement du test : « Nous avons mis en place une campagne expérimentale pour comprendre comment et quand les émissions d’amines seraient générées. Mais certaines de nos expériences ont également entraîné des interventions des opérateurs et opératrices de la centrale pour s’assurer que la centrale fonctionnait en toute sécurité. »

Ces interventions ont abouti à la question de l’interprétation des données. Les émissions d’amines sont-elles le résultat du test de résistance lui-même, ou les interventions des opérateurs et opératrices ont-elles eu un impact indirect sur les émissions ? Cette question était d’autant plus complexe que notre compréhension des mécanismes à l’origine des émissions d’amines est globalement insuffisante. « En résumé, nous avons mené une campagne coûteuse et couronnée de succès, qui a montré que les émissions d’amines peuvent poser problème, mais nous ne disposions d’aucun outil pour analyser les données plus en profondeur », indique Berend Smit.

Il poursuit : «Lorsque Susana Garcia m’en a parlé, cela ressemblait en effet à un problème impossible à résoudre. Mais elle a également mentionné que tout était mesuré toutes les cinq minutes, d’où la collecte de nombreuses données. Et, s’il y a quelqu’un dans mon équipe qui peut résoudre des problèmes impossibles avec des données, c’est Kevin. » Kevin Maik Jablonka, doctorant, a mis au point une solution de machine learning qui a transformé l’énigme des émissions d’amines en un problème de reconnaissance de motifs.

« Nous voulions savoir quelles seraient les émissions si nous n’avions pas le test de résistance mais seulement les interventions des opérateurs et opératrices », explique Berend Smit. C’est un problème similaire à celui que nous pouvons rencontrer dans le domaine de la finance. Si vous voulez évaluer l’effet des changements dans le code des impôts, vous voudriez dissocier l’effet du code des impôts des interventions causées par la crise en Ukraine, par exemple. »

Pour l’étape suivante, Kevin Maik Jablonka a eu recours à un puissant système de machine learning pour prédire les futures émissions d’amines à partir des données de la centrale. Il déclare : « Grâce à ce modèle, nous avons pu prédire les émissions causées par les interventions des opérateurs et opératrices, puis les dissocier de celles induites par le test de résistance. De plus, nous avons pu utiliser le modèle pour exécuter toutes sortes de scénarios sur la réduction de ces émissions. »

Cette conclusion a été qualifiée de « surprenante ». Il s’est avéré que la centrale pilote avait été conçue pour une amine pure, mais les expériences de mesure ont été effectuées sur un mélange de deux amines : le 2-amino-2-méthyl-1-propanol et la pipérazine (CESAR1). Les scientifiques ont découvert que ces deux amines réagissent de manière opposée : la réduction des émissions de l’une augmente les émissions de l’autre.

« Je suis très enthousiaste quant à l’impact potentiel de ces travaux. Il s’agit d’une approche totalement nouvelle d’envisager un processus chimique complexe », affirme Berend Smit. « Ce type de prévision n’est pas réalisable avec les approches traditionnelles. Il pourrait donc changer notre façon d’exploiter les usines chimiques. »

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